SECTEUR 1 Ahmed Aba a été condamné à dix ans de prison. Un tribunal militaire l’a reconnu coupable de dissimulation d’informations aux autorités qui mettaient en péril la sécurité de l’État et de blanchiment de l’argent du terrorisme. Les contempteurs ont déclaré que les charges ont été inventées de toutes pièces et ont critiqué le recours à des tribunaux militaires pour juger des civils. L’affaire Aba était la première où le Cameroun persécutait quelqu’un pour «non-dénonciation», une disposition du code pénal datant de plus de 50 ans. Dans ce qui semble être une nouvelle tendance, trois autres journalistes accusés plus tôt de crimes similaires n’ont été acquittés qu’après plus de 30 comparutions et un procès de trois ans. L’existence de la loi contre le terrorisme semble restreindre la capacité des journalistes à faire comme il se doit des reportages sur les nombreuses crises que traverse le pays. Citant un rédacteur en chef du pays, le Comité pour la protection des journalistes a fait observer dans un rapport de 2017 que «le gouvernement met dans le même panier les reportages sur des militants ou des manifestants et le fait de faire leur éloge, et les journalistes ne savent pas ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas publier en toute sécurité, péchant ainsi par excès de prudence.»3 Selon un panéliste, les stations de radio locales sont obligées de pratiquer l’autocensure et de faire état d’informations qui sont «attrayantes pour ceux qui veulent entendre ce qu’ils veulent entendre». Les journalistes déplorent qu’ils aient besoin d’un courage extraordinaire pour faire des articles sur certaines affaires. Ce nouvel ordre des choses a été favorisé à la fois par la réticence persistante du gouvernement à encourager une société libre et ouverte et par un déclin marqué de la cohésion sociale au cours des six dernières années. Les panélistes ont fait observer que la lutte contre Boko Haram et la répression exercée par le gouvernement sur les activistes anglophones ont créé une atmosphère de peur accrue et limité la liberté d’expression des citoyens et des journalistes. Selon l’un des panélistes, l’arrestation massive de militants anglophones indépendantistes et fédéralistes au cours des deux dernières années, dont des étudiants protestataires et des organisateurs communautaires, a fait naître un sentiment général d��appréhension. «Les gens ne peuvent s’exprimer qu’en cachette», a déclaré cet intervenant. «Avec des agents de sécurité en civil dans les taxis, vous ne savez pas qui est assis à vos côtés.» Par comparaison aux années précédentes, la liberté d’expression a davantage reculé au cours des deux dernières années. Entre 2016 et 2018, les pouvoirs publics ont bloqué au moins deux fois l’accès à l’internet dans les régions tourmentées du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, en partie à l’effet de limiter l’utilisation des médias sociaux à des fins de mobilisation des manifestants et d’empêcher le partage de vidéos et d’images de violations présumées des droits humains par les militaires. En début 2017, le ministère des Postes et Télécommunications a envoyé des dizaines de textos (SMS) menaçants aux utilisateurs de téléphones portables, mettant en garde contre les conséquences juridiques du partage 3 69 CPJ, 2017. Journalistes, pas terroristes: Au Cameroun, la législation contre le terrorisme est utilisée pour faire taire les critiques et réprimer toute dissidence. CPJ, New York BAROMÈTRE DES MÉDIAS AFRICAINS CAMEROUN 2018